gr20

La Corse ! Cinq ans après avoir posé mes baskets dans la Halle des sports de Bastia pour y subir une cinglante défaite basketballistique, je suis de retour dans l’île de beauté, pour tâcher d’en ramener de plus agréables souvenirs…

 

gr20A l’assaut du GR20 nord Entre Calenzana et Vizzavona

En ce jour de départ, la vision des côtes corses par le hublot de l’avion me plonge très vite dans un état d’extase, mélange d’excitation et d’émerveillement à l’idée de découvrir les charmes de cette région hors du commun. Dès la sortie de l’aéroport, l’accent local des autochtones me chante dans les oreilles, les parfums méditerranéens viennent embaumer mes narines, quel bonheur ! J’avais tellement attendu ce moment, depuis le jour où Julien m’avait proposé de l’accompagner dans cette expédition quelques mois auparavant… Et les commentaires unanimes des personnes de mon entourage connaissant l’endroit n’avaient fait qu’accroître mon envie de découvrir cette île restée sauvage, qui cultive sa différence entre mer et montagne ( » maré é monti  » comme ils disent là-bas). Pour me mettre dans l’ambiance et me préparer à affronter la culture locale, je m’étais offert un CD d’I Muvrini qui a tourné en boucle au cours des semaines précédant le départ… et j’avais jugé opportun de relire Astérix en Corse !

La veille du départ, c’est avec un enthousiasme non-dissimulé que je fais mon sac à dos, celui qui sera mon inséparable compagnon de voyage tout au long du GR20 (sentier de grande randonnée). Autant dire l’importance de chaque centaine de grammes ! Je dépasse déjà les dix-sept kilos à l’aéroport, et je ne porte pas encore mes deux litres de réserve d’eau…

Au point de rendez-vous de cette aventure, nous sommes six à nous retrouver tous ensemble pour la première fois à quelques heures du départ à l’aéroport de Lyon St Exupéry (débaptisé quelques jours plus tôt pour célébrer le centenaire de la naissance de l’aviateur lyonnais… adieu Satolas !). Six jeunes entre 24 et 27 ans (je suis le ‘doyen’), tous venus d’horizons divers puisque nous représentons tout de même six départements de la région Rhône-Alpes ! Julien est d’origine forézienne, mi-savoyard (Chambéry), mi-isérois (Grenoble) – et futur  » Homme du Picardie  » -, Alex vient de Savoie (Chambéry), son amie Stéphanie de Haute-Savoie (Sallanches), Stéphane et Gérald viennent d’Ardèche et moi de la région lyonnaise.

A l’origine de ce projet à travers la montagne corse, Julien et Stéphane, tous deux randonneurs chevronnés, qui se sont connus lors de leurs études à l’Ufraps de Grenoble. Alex, la copine de Juju est bien évidemment de la partie pour donner une touche féminine à l’ensemble, en compagnie de son amie Stéphanie rencontrée à la fac’. Quant à Gérald, c’est un ami d’enfance de Stéphane. L’équipe est en place, en route pour l’aventure : les huit ou neuf jours de marche programmés ne nous effraient pas… nous ne nous doutons pas de ce qui nous attend sur le GR20 !

 

Dimanche 9 Juillet 2000

vol Lyon – Calvi puis liaison vers Calenzana
Y t’il un pilote dans l’avion?

Décollage à 11h25 de l’aéroport Lyon ‘St Exupéry’ par le vol Air Littoral à destination de Calvi via Nice. Arrivée à l’aéroport Ste Catherine de Calvi à 14h45. Accueil par Franck et Cécile, des connaissances de Stéphane qui nous permettent de rejoindre Calenzana (ville de départ du GR20) après un petit tour dans Calvi (place de la porteuse d’eau).
Installation au gîte camping de Calenzana et derniers préparatifs du sac à dos pour la rando. Resto  » A stazzona  » en soirée dans Calenzana avec Frank et Cécile… dernier repas digne de ce nom avant bien longtemps ! Météo
Temps chaud et ensoleillé à notre arrivée, avec beaucoup de vent. Rafraîchissement important en soirée, et toujours du vent… toute la nuit aussi d’ailleurs !

 

Le fait du jour

Emotions à l’atterrissage – Pas d’attente interminable dans l’aéroport et aucun retard au départ, cela me semblait bien suspect. Aucune péripétie jusqu’à l’arrivée en vue des côtes corses, ça ne pouvait pas durer, cela cachait quelque chose… Alors que nous avons amorcé la descente sur Calvi, des perturbations se font ressentir. L’appareil tangue sous les rafales de vent et alors que le pilote s’est aligné face à la piste, il annonce calmement :  » le vent vient de tourner, nous allons changer de piste… » Mais l’avion poursuit sa descente, et à peine a-t-il touché le sol qu’il remet les gaz pour nous faire aussitôt redécoller ! Des sensations dignes d’un manège d’Eurodisney, auxquelles ni le voisin de devant d’Alex, ni le chien de sa voisine – prisonnier d’un carton de voyage – ne résisteront. Nous nous posons finalement à l’opposé de la piste. A la descente de l’appareil, Alex et Stéphanie ont perdu des couleurs et moi-même je ne suis pas au top. Soucieuse de nous rassurer, l’hôtesse nous informe que Calvi est l’aéroport le plus venté de France – les pilotes viennent en profiter pour s’exercer. Sous le charme de son sourire, Stéphane, imperturbable, ne perd pas le nord et se fait remettre les derniers petits sandwichs qui restent de la maigre collation servie au cours du vol !

L’étape

Plein les yeux, déjà ! – Avant même de poser un pied sur l’île de beauté, les décors qui s’offrent à nous par les hublots de l’avion nous laissent pantois. Il faut dire que notre vol se déroule dans des conditions climatiques idéales (pas un nuage), avec un panorama d’exception : nous survolons très vite les Alpes, et Juju et Stéphane en profitent pour étaler leur impressionnante connaissance des massifs montagneux (pour moi qui n’y connais rien, tout se ressemble vu d’en haut !). Puis les gorges du Verdon où le lac de Sainte Croix nous apparaît dans toute sa splendeur… l’appareil photo de Stéphane est déjà en action. Plus loin, la mer et la côte d’Azur, Cannes, Antibes, Nice, et après notre escale, bientôt le cap Corse et la baie de Calvi. Images magiques… Humeur…
Impatience, quand tu nous tiens… – Mes vacances commencent là, enfin. J’ai dit adieu avec émotion à mes inoubliables gamins de CP quarante-huit heures plus tôt (ma première classe à moi !), et après voir quitté Lyon et le continent, la Corse m’accueille. Pourtant, étrangement, même après quelque heures sur la terre de Napoléon, je ne suis toujours pas dans l’ambiance de voyage… Nous ne sommes encore installés nulle part, les sacs sont en transit dans la voiture, nous ne faisons que passer dans Calvi pour y faire quelques courses et je ne réalise pas encore la beauté de tout ce qui m’entoure. Je crois que je n’attends qu’une seule chose : le vrai départ, celui de notre randonnée, prévu très tôt le lendemain matin…

Brèves rencontres

La  » pinsoute  » de Calenzana – Nous sommes accueillis à l’aéroport de Calvi par Franck et Cécile (et leur chien fou Django), des connaissances de Stéphane. Ils nous permettent de rejoindre Calenzana (et le comité d’accueil symbolisé par un tag du FLNC sur le panneau d’entrée), situé à 13 km de Calvi, sans galérer avec nos bagages et nous font même profiter d’un rangement pour stocker les affaires superflues sur le GR. Elle, c’est une « pinsoute », une continentale qui s’est installée dans l’île. « Et aux yeux des corses, je serai toujours une pinsoute… » Randonneuse acharnée, elle connaît le GR20 comme sa poche et nous donne quelques conseils pour profiter au mieux de notre expédition et pour survivre à l’enfer, aussi…

En vrac

« On m’aurait menti ? » – Nous sommes encore à l’aéroport de Lyon et Julien distribue les rations d’alimentation que chacun devra porter. Un gros sachet de poudre blanche attire mon attention :
– C’est quoi ça, Ju ?
– De l’EPO, regarde, c’est marqué dessus… (véridique !)
Je regarde les autres sachets : PFC, cocaïne, héroïne…
– C’est le produit énergétique pour mettre dans les poches à eau, reprend-il. J’ai mis ça pour déconner, c’est énorme non ? On pourrait rigoler un moment si on se faisait coincer à la douane !
«Quoi ? On m’aurait menti ?»

Fièvre niçoise – C’est l’été dans l’aéroport de Nice : les filles sont belles, les jupes courtes, les décolletés troublants, aïe aïe aïe ! De quoi réveiller les hormones mâles les plus insensibles. Stéphane et Gérald, « affamés comme s’ils sortaient de prison » (dixit Juju), ne savent plus où donner de la tête. Quant à Alex, elle méprise nos attitudes bassement masculines en traitant toute jeune fille charmante attirant notre regard de pute ! Exemple : « Elle est où ta pute ? »

Banquet gaulois – Pour ce dernier soir avant le grand départ, nous nous offrons le plaisir d’un petit resto conseillé par Cécile, « A stazzona » dans Calenzana. Au menu, du sanglier, comme dans Astérix ! En fait, un vulgaire cochon sauvage (singularis porcus) comme on en rencontre tant en Corse. Mais ça, mieux vaut le taire, il ne faudrait pas briser le rêve d’Obélix…

 

Lundi 10 Juillet 2000

Calenzana – Bocca d’Ortu di u Piobbu
La dure réalité du GR20

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

Réveil à 4h45… Après une mise en route laborieuse, nous quittons Calenzana et rejoignons le point de départ du GR20 vers 6h30, quelques minutes après le lever de soleil.
Etape 1 : départ 6h30, arrivée 14h30 – durée de marche effective : 6h30.
Nuit en bivouac au refuge d’Ortu di u Piobbu.

 

Météo

Alternance de soleil et de nuages. Le vent qui a soufflé en rafales toute la nuit continue son cirque… Il fait chaud mais la chaleur est très supportable, sauf pour Gérald qui sue toute l’eau de son corps et ne cesse d’éponger son bandana.

Le fait du jour

Dans le vif du sujet – Le GR20 démarre par un sentier au-dessus de Calenzana, situé à 275 mètres d’altitude. Alors fatalement, pour rejoindre le cœur de la montagne corse, il faut prendre ses petites gambettes et grimper sans rechigner d’un pas décidé. Pour cette première journée, nous devons donc avaler 1300 mètres de dénivelé en découvrant tout à la fois, la beauté des chemins et des paysages, les sols caillouteux, les pentes pas souvent douces et le poids réel d’un sac de quinze à vingt kilos sur le dos ! Chacun se teste et se découvre, cherche sa cadence et le rythme de ses pas. Un prologue éprouvant qui nous plonge d’entrée dans la dure réalité de ce qui nous attend toute la semaine, mais effectué heureusement avec des jambes encore toutes neuves et une fraîcheur physique qui sera probablement déjà bien entamée le lendemain au départ de la deuxième étape !

L’étape

Une succession de  » raidi-longs  » – Après la tranquille traversée du petit village de Calenzana encore endormi, nous rejoignons le vrai point de départ du GR20. Notre randonnée commence inévitablement par un petit raidillon, vite rebaptisé « raidi-long » étant donné qu’on n’en voit jamais le bout… Nous progressons dans un défilé de cols et d’arêtes au milieu d’un décor naturel et sauvage de toute beauté. Notre ascension se poursuit, encore et toujours, jusqu’à cette vision réconfortante en contrebas de notre chemin : le refuge ! Oui, mais… il nous faudra encore franchir un vallon avant de l’atteindre, avec une descente très pentue et un dernière grimpette terrible pour les jambes.

Humeur…

C’est ça les vacances ? – J’ai comme l’impression d’un malentendu sur la définition du mot  » vacances « … Passe encore sur la nuit atroce que je viens de passer à n’en rien dormir, secoué toute la nuit sous la tente par des rafales de vent à vous rendre marteau complet. Mais pourquoi suis-je réveillé à 4h45 par des illuminés qui veulent aller marcher alors qu’il est encore l’heure de dormir ? Pourquoi faut-il s’élancer deux heures plus tard sur un chemin plein de kailloux qui grimpe à mort avec un sac qui pèse une tonne sur le dos ? Pourquoi faut-il avoir faim toute la journée sans avoir le droit de piocher dans les maigres réserves de Grany de son sac à dos ? Pourquoi faut-il se contenter à midi d’une rondelle de Coppa (l’excellente charcuterie fumée corse) et d’une maigre tranche de pain alors que mon estomac crie famine ? Pourquoi faut-il en arrivant se doucher à l’eau froide avec l’insupportable odeur des toilettes sauvages voisines dans la kabane au fond du jardin ?
Pourquoi ? Pourquoi ?  » Parce que t’as signé… « , me répond Stéphane. Et c’est vrai, ce sont les vacances que j’ai choisies… et je ne voudrais vivre autre chose pour rien au monde !

Brèves rencontres

Quand on aura leur âge… – Nous sommes six, âgés de 24 à 27 ans, jeunes, beaux et forts, en pleine force de l’âge. Ils sont trois, ayant atteint à n’en pas douter la soixantaine, les jambes marquées par les traces du temps qui passent. Et sans broncher et sans se plaindre, ils montent à leur allure – et quelle belle allure – sur les sentiers difficiles et escarpés du GR… Leur abnégation force notre admiration et nous sommes unanimes pour dire qu’à leur âge, nous ne serons sûrement pas là en train de crapahuter !

En vrac

Vaches-randonneuses – Passionné d’animaux en totale liberté depuis ma rencontre avec les ânes grecs des Cyclades, je suis une nouvelle fois surpris en croisant au beau milieu de la montagne corse, à mille lieues de toute zone habitable, l’une ou l’autre de ces vaches égarées qui déambulent bien mieux qui nous à travers les cailloux. Je pense à Fernandel dans  » La vache et le prisonnier « , en train d’appeler  » Marguerite ! « …Tahiti douche, comme à la télé… ou presque – La file d’attente est longue pour accéder à l’unique douche – froide, évidemment – du refuge. Mais heureusement, avec Tahiti douche, nul besoin de faire la queue ! Il suffit de tapoter le flacon pour que la pluie tombe et que les filles ôtent sensuellement leur t-shirt… Publicité mensongère hélas, puisque si la pluie finira bien par tomber (sous la forme d’un bel orage bien arrosé en pleine nuit), nous ne verrons pas le moindre petit bout de sein !

 

Mardi 11 Juillet 2000

D’Ortu di u Piobbu – Caruzzo
La corse est un immense « kaillou! »

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

Réveil différé à 6h30 puisqu’à 4h30, il pleut encore des cordes (et ce depuis minuit…).
Etape 2 : Départ 8h, arrivée 15h ; durée de marche effective : 5h.
Nuit en bivouac au refuge de Carozzu.

 

Météo

La pluie finit par cesser au petit matin mais le temps est encore très couvert. Amélioration dans l’après-midi avec quelques vraies éclaircies qui nous réconcilient avec la montagne ; variation fréquentes de température avec les allées et venues du soleil. Vent très violent par endroits (haut des crêtes).   

 

Le fait du jour
Que la montagne est belle! J’ai encore mal dormi, à cause de la pluie cette fois. Je me lève grognon, le duvet plus qu’humide, la tente trempée, dans la grisaille, il fait froid ; les jambes ne semblent pas pressées de repartir, quand à mes épaules elles ont l’impression que le sac à dos a pris du poids pendant la nuit…  » Pourtant, que la montagne est belle…  » chante Ferrat. Et c’est vrai ! Mes petits soucis futils s’envolent dès que j’ose enfin contempler en face la beauté des paysages dans lesquels j’ai la chance d’évoluer. Lorsque la brume grisaille environnante se dissipe enfin pour laisser la place au soleil, les aiguilles resplendissent, les couleurs éclatent et les panoramas sont exceptionnels ! Plus nous progressons dans notre ascension, plus je prends plaisir à mesurer le chemin déjà parcouru et à voir les choses de haut…

 

«J’suis bien, p’t’être un peu bourré mais bien
J’suis bien accroché, j’crains rien
Me faites pas de signe j’veux pas descendre
J’suis bien, d’ici j’vois les choses de haut
J’aurais dû monter plus tôt
Ça fait très longtemps qu’j’attends
D’être aussi bien…»
(Michel Fugain)

 

Je me laisse griser par l’appel du vide, en penchant la tête au dessus des falaises. Je me sens à la fois très humble, très petit face à l’imposante stature des sommets qui m’entourent… et en même temps, immensément grand de les atteindre les uns après les autres et de pouvoir les regarder d’en haut après les avoir dépassés !
La baie de Calvi, que l’on aperçoit encore parfois au sommet d’un col, n’est déjà plus qu’un lointain souvenir…

L’étape

Eprouvante mais enthousiasmante – Malgré la nuit agitée par une pluie incessante, il faut bien repartir… La première ascension du matin dans la grisaille est difficile, mais nous atteignons finalement notre premier col à plus de 2000 mètres. Le soleil vient nous rendre visite de temps à autre, ce qui n’est pas la moindre des réjouissances. Avant de commencer à plonger sur le refuge, nous profitons d’une vue exceptionnelle sur le cirque de Bonifatu…
La descente dans les kailloux est longue, longue… interminable. Les organismes sont soumis à rude épreuve. Qu’il est doux d’arriver ! Même si nous sommes parmi les derniers à nous installer… En effet, la plupart des randonneurs sont là depuis bien longtemps, n’ayant pas osé s’élancer sur les crêtes par crainte des intempéries ; ils ont contourné le cirque par la vallée, itinéraire plus court et plus facile. Mais ils n’auront pas vu la montagne aussi belle que nous !

Humeur…

Chacun son rythme – Notre équipée ressemble beaucoup au peloton du tour de France : il y a les échappés, Julien et Gérald, qui caracolent en tête sans trop de soucier de ce qui se passe derrière (ce qui a le don de mettre Alex en pétard !) ; il y a ceux qui montent au train comme Stéphane, qui gère sagement ses efforts en avançant à foulées régulières ; il y a les attardées, Alex et Stéphanie, reléguées en queue de peloton mais qui progressent sans grimacer, à leur allure ; et puis il y a moi, hors catégorie dans le style « j’me sens bien j’accélère le rythme et la longueur de mes pas mais d’un coup ça va moins bien alors tout le monde me rattrape et je me retrouve bientôt bon dernier et à la traîne… ». Je ne gère encore rien du tout, je grimpe sans réfléchir comme quand j’avais dix ans (ça m’allait pourtant bien à l’époque !), je me déchire sur certains passages en sollicitant beaucoup mes pauvres jambes, et je m’explose les articulations (les genoux surtout) en sautant lourdement sur les kailloux lors de la descente… Il va vite falloir que je m’achète une cadence et une rigueur de marche si je veux revenir entier de cette aventure !

Brèves rencontres

Belle des Champs – « Oh, donne nous encore un peu de ton fromage, il est si fondant, Belle des Champs ! » La chevelure blonde de cette jeune randonneuse qui rappelle l’or des blés et sa discrète simplicité ont vite fait de nous évoquer la charmante marchand de fromages de la publicité. Seul un accent dijonnais à couper au couteau viendra légèrement gâcher le tableau ! En vrac
La  » rachtaquoué  » a tenu le coup – Sorti pour soulager un besoin nocturne pressant, je profitais de l’occasion pour rentrer les quelques affaires laissées négligemment dehors. Bien m’en prit puisque moins de dix minutes plus tard, quelques gouttes commencent à résonner sur ma maigre toile de tente à toit unique. La pluie s’intensifie bientôt, puis le vent se lève, des éclairs déchirent le ciel et le tonnerre gronde au loin… Sans aucune confiance dans mon abri de fortune, je ne ferme plus l’œil de la nuit et je serre les fesses en attendant que la tempête s’arrête. Mais les rafales de vent sans fin succèdent aux trombes d’eau qui s’abattent sur la toile et j’imagine le pire : les gouttières, l’eau qui s’infiltre de tous les côtés de la tente, la toile qui se déchire, la foudre qui vient frapper sur mes piquets sans patates ! Le calme revient enfin vers 6h30, et la  » rachtaquoué  » a relativement bien tenu le choc puisque seul un côté a pris un peu l’eau, mouillant légèrement matelas et duvet. Jamais je n’aurais imaginé être aussi reconnaissant envers ce bout de toile objet de tant de quolibets ! Je repense à Cécile qui me disait avant de partir :  » Si c’est vraiment une tente de merde, tu ferais mieux de la laisser au lieu de t’encombrer, tu dormiras à la belle… « . Après une nuit pareille, qu’est-ce que je suis content de l’avoir emportée, ma tente de merde !!

« Quand est-ce qu’on mange ? » – Chaque année c’est le même refrain : l’ambiance vacances a le don de décupler mon appétit, et ce n’est pas le grand air de la montagne corse ni l’effort physique sur le GR qui risquent de diminuer ce phénomène, au contraire ! C’est d’autant plus difficile à vivre que j’ai l’impression d’être le seul à me plaindre de la faim qui me tiraille l’estomac. Je pioche sans arrêt dans mes réserves personnelles pour tenir le coup, et je me demande comment font mes acolytes pour se rassasier d’un bout de pain rassis et d’une demi-rondelle de coppa après six heures de marche. Le soir, les rations de pâtes sont généreuses et pourtant je pourrais facilement avaler le double de ma part ! Il y a un an je saturais de la riche gastronomie marocaine, qu’est-ce que je regrette cette époque bénie… Cette insatiabilité quasi-permanente me vaudra très vite d’hériter du surnom peu glorieux… d’Averell !!

Trek au Népal ? – Troublés par une affiche décrivant une expédition au pays-fétiche des grands randonneurs, et au beau milieu de leur raid sur le GR 20, Juju et Stéphane ont déjà le regard tourné vers de nouveaux horizons… Les voilà en train d’échafauder le projet d’une aventure au Népal. La fièvre et la passion les gagnent, leurs yeux s’illuminent… ils sont en train de rêver tout éveillés qu’ils baroudent sur les pentes de l’Himalaya !

 

Mercredi  12 Juillet 2000

Caruzzo – Asco Stagnu
 » Quand te reverrai-je, pays merveilleux… « 

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

Etape 3 : Départ 6h, arrivée 11h10 trempés, frigorifiés par la pluie, la grêle, le froid et la neige… ; durée de marche effective : 4h30.
Après une vraie collation pour nous remettre de cette étape éprouvante, séchage, sieste, discussions passionnées avec les randonneurs, ravitaillement, prise d’informations sur la météo à venir…
Nuit dans un vrai lit au refuge d’Asco Stagnu. Météo
Couvert et frais le matin, puis : vent, pluie, grêle, neige fondue, et tempête de neige en haut des crêtes ! Descente au refuge sous la pluie sur les rochers glissants. Amélioration dans l’après-midi, et grand beau temps en soirée sans nuages ! Les cimes enneigées sous le soleil couchant sont magnifiques… Températures très froides (1° en haut du col, 5° maximum à Asco)

 

Le fait du jour

« Dix ans qu’on n’avait pas vu ça… » – Les habitants et les commerçants d’Asco sont les premiers surpris par cet incroyable caprice de la météo : de la neige en juillet, à 1400 mètres d’altitude, ils n’avaient pas vu ça depuis dix ans. Certes, les sommets environnants qui entourent le monte Cinto – point culminant de la Corse avec 2706 mètres – sont fréquemment enneigés même en plein été mais pour se trouver au cœur d’une vrai tempête sur le GR à cette époque de l’année, il faut quand même ne pas avoir de bol !

L’étape

Dans l’enfer corse – Nous partons à la fraîche, en même temps que la plupart des marcheurs. Quelques minutes après le départ, nous devons franchir un pont suspendu à la Indiana Jones, que tout le monde ne franchit pas avec la même assurance ! La longue ascension qui démarre alors est difficile entre les dalles rocheuses et les étroits passages rocailleux… Lorsque le vent, la pluie, le froid et la neige s’en mêlent, c’est une toute autre randonnée qui commence, très pénible. L’ultime plongeon vers le refuge d’Asco est éprouvant puisque la fatigue physique s’accompagne d’une fatigue nerveuse, née d’une vigilance sans relâche au cours de la descente sur les roches glissantes. Pressé d’arriver, je n’accorde aucun répit à mon organisme et en arrivant au refuge, je suis fracassé de partout : muscles courbaturés, articulations douloureuses, et moral un peu inquiet aussi pour la suite… Notre étape la plus courte depuis le départ aura aussi été la plus éprouvante !

Après avoir joué les Indiana Jones, une tempête de neige nous a rattrapés…

Humeur…

Ça fera des souvenirs ! – Non-content de m’imposer déjà ses terribles dénivelés, ses difficiles escalades et ses chemins caillouteux, le GR ne m’épargnera décidément aucune épreuve. Après la faim (lundi), et les bourrasques de vent (mardi), je dois affronter avec mes compagnons d’infortune en ce troisième jour les pires conditions climatiques, dignes d’une randonnée d’hiver : le froid et la neige. De la neige fondue au départ, qui détrempe tout sur son passage, puis une vraie tempête de neige [voir les photos] avec des flocons de trois centimètres de diamètre… Je rêve de gants bien chauds tant mes mains me font mal, mouillées, gonflées, rougies… à me demander si je pourrais encore tenir un stylo pour poursuivre le journal de bord ! Dans tous les cas, je pense qu’on n’aura pas fini de reparler de cette satanée tempête de neige en Corse un 12 juillet…

Brèves rencontres

« Il mio refugio… » – Sans même avoir esquissé l’idée de planter les tentes (il pleut encore à torrents lorsque nous arrivons), nous gagnons le refuge d’Asco Stagnu. Enfin au chaud et bientôt au sec après une douche régénérante, nous trouvons une petite place pour manger à la grande tablée familiale. Le refuge est bondé puisque quasiment tous ceux qui ont tenté de traverser le mythique cirque de la solitude depuis deux jours (notre étape théorique du lendemain au départ d’Asco) ont dû rebrousser chemin en raison des conditions météo rendant le parcours dangereux. Certains ne croient d’ailleurs plus en une amélioration rapide de la situation et quittent définitivement le GR en rejoignant Corte en bus. Nous en profitons pour récupérer des lits inespérés et nous héritons même d’une chambre en compagnie de deux sympathiques randonneurs, Christophe et Patrice, qui voyagent en solo chacun de leur côté ; ils partageront d’ailleurs notre plat de pâtes du soir. Dans le refuge, tous confrontés au même problème (faut-il prendre le risque de tenter de traverser le cirque de la solitude ou pas ?), les discussions sont passionnées et l’ambiance des plus chaleureuses. Il faut dire que la gardienne est d’une gentillesse et d’une disponibilité exceptionnelle, une vraie mère-poule, attentive, dévouée, et on se sent tous comme à la maison !

En vrac

Juju, homme-médecine – En bon Ufrapsien soucieux de son corps, Juju a tenu à se charger lui-même de la pharmacie destinée à soigner les petits bobos en cours de séjour. Soucieux d’alléger mes souffrances musculaires, je vais lui demander conseil et j’avale sans sourciller le Doliprane qu’il me tend… avant de constater avec effroi que je viens d’ingurgiter un Spasfon (contre les maux de ventre) ! Diablement efficace en tout cas, puisqu’en dépit des 400 grammes de pâtes que j’avale ce soir-là, je n’aurais absolument pas mal au ventre… Quant à mes courbatures, Patrice me fournira un Myolastan qui en plus de jouer parfaitement son rôle de décontracturant me permettra de dormir d’un vrai sommeil pour la première fois en quatre nuits corses !

 

Stéphane, chef-cuistot – Leader naturel de notre équipée, Stéphane prend résolument en charge l’organisation des repas, des courses de ravitaillement jusqu’à la préparation. Il faut dire que ce jour-là, la jeune fille du magasin d’alimentation d’Asco lui fait les yeux doux et qu’il n’hésite pas à aller trois fois faire les courses pour profiter un peu plus de son sourire. Néanmoins, il en reviendra suffisamment lucide pour nous mitonner comme tous les soirs un plat de pâtes grandiose ! Nous salivons tous d’avance à l’idée de déguster sa spécialité de pâtes à la sauce roquefort…

 

Jeudi 13 Juillet 2000

Liaison Caruzzo – Castel di Verghio
La solitude de Stéphane au cirque du même nom

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

7h30 : Stéphane quitte le refuge pour tenter de traverser le cirque de la solitude en compagnie de nos deux nouveaux compagnons de route, Patrice et Christophe ; le point de ralliement est fixé à Castel di Verghio, deux étapes plus loin (4 & 5), pour le lendemain matin 8h30… De notre côté, nous quittons Asco (départ de l’étape 4) pour rejoindre Castel di Verghio (arrivée de l’étape 5) en car dans la matinée. Installation des tentes ; balade bucolique, cascade et bergerie pour les garçons, lessive et déménagement en urgence des tentes pour les filles à cause des cochons ! Arrivée en direct du bar de l’arrivée de l’étape du tour de France au Ventoux : Pantani renaît de ses cendres. Repas et nuit en bivouac dans l’enclos (à l’abri des cochons sauvages !) Météo
Grand beau temps le matin, ciel bleu et environ 15° le matin à Asco ; après-midi ensoleillé avec passages nuageux. Vent frais. Grand beau temps sur le cirque aussi, évidemment…

 

Le fait du jour

Nous ne verrons pas le cirque de la solitude – Au bout de longues discussions passionnées et après un appel à la prudence de la gendarmerie qui recommande de ne pas s’élancer sur l’étape (risques de neige et de verglas pouvant rendre la traversée du cirque dangereuse), chacun livre son sentiment : Stéphane veut absolument voir de quoi il retourne sur place et juger par lui-même du danger éventuel (« J’irai au bout de mes rêves… ») ; plus circonspect, Julien préfère ne pas tenter le diable et refuse de s’engager – mais je vois sur son visage que ce sage renoncement lui coûte ! Alex et Stéphanie, « courageuses mais pas téméraires » n’iront pas non plus ; quant à Gérald et moi, nous nous rallions au sentiment de prudence général. Depuis notre arrivée la veille au soir, tout a été dit sur cette étape (« dangereuse », « le moment le plus fort du GR », « plus proche de l’escalade que de la randonnée », « plus spectaculaire que difficile »…) et le choix est difficile pour chaque randonneur présent dans le refuge ! Ne pas y aller, c’est risquer d’avoir des regrets, le pire de tout… mais les conditions météo sont tellement défavorables, comment espérer passer là où tant de randonneurs expérimentés ont dû rebrousser chemin ? Tous ceux qui renoncent le font avec un énorme pincement au cœur, et si personnellement je n’en fais pas une maladie, je regrette de ne pas avoir la chance de voir ce site exceptionnel et d’amputer mon raid sur le GR 20 de son étape la plus spectaculaire…

L’étape

Débrayage… pas pour tout le monde – Nos chemins se séparent pour la première fois : Stéphane à l’assaut du cirque avec Patrice et Christophe, en nous donnant rendez-vous le lendemain matin ; il projette en effet de parcourir une étape et demi ce jeudi et de terminer sa demi-étape en partant très tôt le vendredi matin, pour nous retrouver au bivouac de Castel di Verghio. De notre côté, malgré une organisation laborieuse, nous rejoignons Verghio dans la matinée après un splendide et spectaculaire trajet en car sur les petites routes montagneuses.

Vers 19h30, alors que nous passons à table dans le refuge, se produit l’inattendu : Stéphane et ses deux compagnons de route font une entrée triomphale ! En une journée , ils viennent d’avaler deux étapes du GR ( !), soit près de onze heures de marche effective – et 1600 mètres de dénivelé – après avoir vaincu notamment le terrible cirque de la solitude dans des conditions météo finalement favorables. La joie de Stéphane fait plaisir à voir, surtout qu’il semble à peine éprouvé par l’exploit qu’il vient d’accomplir…

Steph dans le cirque de la Solitude

Humeur…

Du bonheur d’apprendre à marcher – « On peut apprendre de nouvelles choses à tout âge » : en cet après-midi de balade tranquille à travers la forêt des alentours de Verghio, je repense à cette phrase inscrite sur la porte d’une classe de mon école. Moi-même, meurtri par trois journées éprouvantes ayant mis mes articulations et mes petits muscles à rude épreuve, j’ai l’impression d’être en train d’apprendre à marcher. Eh ! oui, on ne se déplace pas sur un chemin de grande randonnée de la même manière que dans la rue… Une semaine plus tard, à Calvi, un immense sourire m’envahit le visage à la lecture d’un passage de mon bouquin de vacances :

«Leur allure n’avait pas varié au cours de l’ascension : c’était toujours cette longue et souple foulée accompagnée par une flexion du genou, foulée qui paraît lente au débutant pressé d’arriver – comme si la lutte avec la montagne tolérait l’impatience ! – et qui est cependant si bien réglée qu’elle permet de marcher des heures et des heures sans sentir la fatigue. » Roger Frison-Roche, Premier de cordée

… livre de circonstances certes, mais surtout énorme coïncidence !

Cet après-midi-là, j’apprends en effet la valeur de ces petits pas réguliers, de ces courtes enjambées toniques qui permettent d’avancer sans grimacer pendant des heures. Je comprends désormais pourquoi je souffre beaucoup plus que Julien ou Stéphane, plus expérimentés, plus sages et plus habitués que moi à gérer leurs efforts au cours d’une telle aventure… Et puis, quand on oublie la douleur, quel bonheur de marcher ! On peut alors vraiment apprécier chaque moment de sa randonnée… Les moments collectifs, lorsque le groupe avance ensemble au rythme des conneries – plus rarement des discussions sérieuses – débitées immanquablement par l’un ou par l’autre ; lorsque l’on redémarre tous ensemble d’un même pas après un rassemblement ; lorsque l’on éprouve le sentiment d’appartenir à ce groupe, lorsque l’on se sent accompagné, soutenu, encouragé, et vraiment considéré par ceux qui marchent à vos côtés… Mais aussi les moments de marche solitaire, lorsque chacun avance son rythme, cherchant ses pas, ses appuis et ses repères ; ces moments où l’on oublie tout, la fatigue, la lassitude occasionnelle, la soif, le poids du sac… Ces moments où l’on oublie même que l’on marche pour mieux se perdre un peu au fond de soi-même : d’une pensée, d’un souvenir, tout s’enchaîne à l’intérieur. On est seul avec soi, et on y est bien. C’est dans ces moments-là, si rares et si précieux, que naissent dans mon esprit rêves, résolutions et projets de vie… Dans ces moments-là aussi que s’allument les idées de ce journal ! Ah, s’il m’était possible de conserver une trace écrite de toutes les pensées lyriques qui me viennent en même temps que mes pas s’enchaînent…

Brèves rencontres

Ce n’est pas à un vieux corse qu’on apprend à faire la grimace… – Pas commode, le chauffeur du car qui nous emmène d’Asco à Verghio. Vite énervé par l’organisation un peu bordelique (sic) de notre déplacement, il remet d’un regard un touriste à sa place qui avait osé lui répondre. Tout près de l’arrivée, il stoppe le car et décide d’une pause pour aller se prendre un café et fumer une cigarette…
Encore plus rustre et carrément désagréable, le patron de l’hôtel et du refuge de Castel di Verghio. Ne surtout pas lui demander le moindre renseignement, il vous envoie bouler avant même d’avoir terminé votre question ! Face à de telles attitudes, on apprécie d’autant plus la disponibilité et la gentillesse du vieux berger corse à qui nous achetons du fromage à la bergerie de Radule. Nous sommes d’ailleurs tellement surpris que nous manquons de partir sans payer, avant qu’il ne nous rappelle avec un accent local inimitable :  » Et alors, c’est qui qui me donne l’argent ?… « 

En vrac

Le paradoxe du cochon – Pendant que nous sommes en balade, Stéphanie et Alex déménagent les deux tentes et toutes nos affaires pour s’installer dans la zone de bivouac délimitée par un enclos. Raison invoquée, les cochons sauvages sont tellement attirés par la nourriture qu’ils détruisent tout ce qui les sépare de leur objectif : chaussures, tentes, sacs à dos… Il est donc plus prudent de s’installer dans ce parc où les cochons en liberté ne viendront pas nous importuner. Ce qui amènera à Gérald cette réflexion pleine de bon sens : « C’est vraiment un monde à part la Corse… D’habitude ce sont les animaux qui sont enfermés, ici c’est le contraire : les cochons sont en pleine liberté et c’est nous qui sommes parqués ! »

Pascalet ? – La gentille dame qui s’est chargée de l’organisation du déplacement en car est dépassée par tout. Après nous avoir inscrit sur sa liste, nous sommes désormais de trop et elle insiste pour que nous descendions :  » Pascalet, cinq personnes, il va falloir descendre… Qui est Pascalet ?  » Euh… non, c’est Pacalet m’dame ! Et puis flûte, on est inscrits, on reste ! De toutes façons, le Juju  » Pascalet  » n’a pas vraiment l’air d’être disposé à descendre…

Un petit coin de paradis… – En ce jour de break, les filles se mettent au repos complet tandis que Julien , Gérald et moi nous offrons une petite balade – sans sac à dos, le bonheur – dans la forêt qui entoure le refuge. En haut du col de Verghio, nous croisons Jésus (enfin, sa statue ! « Aimez-vous les uns les autres… »), ainsi que quelques cochons en vadrouille. Nous remontons le GR vers la bergerie et les cascades de Radule. Ces dernières sont d’une beauté exceptionnelle, et cet endroit de rêve invite inévitablement à la baignade… La température de l’eau ne doit pas dépasser les 10° mais Juju et moi nous offrons un plongeon vivifiant pendant que Gérald immortalise l’instant avec mon appareil. Y’a rien là ?!

Petite balade autour du col de Vergio…

… à la découverte des Cascades de Radule…

…et de leur eau à 10° !

Fromages corses – Impossible de passer devant une bergerie sans échapper aux odeurs qui l’entourent… Celle des crottes de brebis bien sûr mais aussi et surtout celles des fromages corses dont la réputation n’est plus à faire. Nous nous laissons tenter par un fromage de brebis ( » brosciu « ), qui ne fera pas long feu au repas du soir !

Leonardo speaking – A Castel di Verghio, ancienne station de ski et lieu de passage touristique, nous reprenons contact avec la civilisation. Presque dommage, puisque mes acolytes sont tout heureux de constater que le signal de leur portable passe à nouveau après quatre jours de néant, et se raccrochent en une seconde à leur univers quotidien… On était si bien là dans la montagne corse, loin de tout, coupé du monde ! Finalement, je craque moi aussi et je passe un petit coup de fil à ma maman ainsi qu’à Véro pour son anniversaire. Il faut dire que Stéphane bénéficie du forfait SFR Millenium (appels gratuits vers un fixe après 20 heures) et qu’il propose son portable à qui veut l’utiliser. Enfin… quand il n’est pas lui-même pendu au téléphone !

 

Vendredi 14 Juillet 2000

Castel di Verghio – Manganu
Pétards mouillés pour la fête nationale

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

Etape 6 : Départ 9h, arrivée 15h ; durée de marche effective : 5h.
Sieste puis fin d’après-midi et repas au refuge.
Nuit en bivouac au refuge de Manganu. Météo
Soleil au réveil… puis très vite gros nuages gris qui bouchent complètement le ciel. Journée entière dans la grisaille au milieu des nuages qui forment une brume épaisse… pluie dans l’après-midi, aussi !

 

Le fait du jour

Morosité générale – «Sur mon premier il pleut, sur mon deuxième il y a de la neige, sur mon troisième il y a du brouillard et mon tout est parsemé de vent. Qui suis-je… ? Le GR 20 bien sûr !» La simili-charade d’Alex a de quoi faire sourire mais il est bien difficile sur le parcours de cette étape de trouver des raisons de s’enthousiasmer et de se réjouir. Nous avançons dans la grisaille toute la journée, sans jamais avoir accès à la beauté des panoramas et des paysages qui nous entourent.
« On dirait que la Corse se refuse à nous, qu’elle ne veut pas nous dévoiler toute sa beauté et tous ses charmes… » commente Stéphane. « Cela aurait dû être un moment de plaisir sans partage, et au lieu de ça… » regrette Julien… Et c’est vrai, tout aurait été tellement plus fort et plus beau si la météo avait été avec nous, mais qu’y pouvons-nous ? Reste à positiver, à savoir apprécier chacun des moments passés sur ce tracé extraordinaire dans un cadre naturel unique…

L’étape

Nouveaux décors – Après une journée de repos des plus appréciables (enfin, sauf pour Stéphane !), le GR nous offre des sentiers très différents des jours précédents : chemins forestiers, passages sablonneux, pelouses dans la vallée du lac de Ninu, lande… Aux abords du lac, nous marchons à côté des chevaux en liberté sur les pozzines (pelouses des tourbières), un sol très souple et très humide sur lequel on évolue avec un réel plaisir… loin de la dureté des sols caillouteux (méchants kailloux !). Après ce vrai moment d’évasion, la descente sur Manganu est quelque peu longue dans une atmosphère fraîche et humide.
Aux abords du lac Ninu, chevaux en liberté dans les pozzines

Humeur…

« J’veux du soleil … ! » – Je suis comme beaucoup de gens, mon moral oscille avec la couleur des conditions météo… Et en ce jour de fête nationale, j’ai du mal, j’avoue. Déjà parce qu’à cause du brouillard, ce n’est même pas la peine d’espérer voir le moindre petit pétard de feu d’artifice au lointain ! J’avance en rêvant au soleil, à la chaleur et au réconfort… Je pense à la plage, aux criques corses des cartes postales, à Bonne Anse et à la côte sauvage, à l’Ardèche de Ruoms, et aux vacances que je dois passer avec ma chérie ! Il faut bien tout cela pour me donner le courage nécessaire pour progresser en ce jour sur les chemins rocailleux et embrumés du GR 20…

Brèves rencontres

Le GR à l’heure de l’Europe – Le GR 20 n’a pas la réputation d’être le plus difficile d’Europe pour rien. Sa renommée a largement dépassé les frontières de l’hexagone puisque dans la chaleur des refuges, les accents étrangers se distinguent nettement. Parmi tant d’autres, nous avons déjà croisé un véritable alpiniste italien, une guide anglaise originaire de Chamonix, un sexagénaire allemand, deux jeunes belges…

En vrac

So British – La verdure du paysage dans la vallée du lac de Ninu évoque immanquablement la quiétude des grandes vallées d’Irlande… La brume qui s’y attache est à n’en pas douter digne du  » fog  » londonien et dans cette ambiance très britannique, on s’attendrait presque à voir le monstre du Loch Ness surgir du  » Loch Ninu  » !

Les vallées d’Irlande… ah non, pardon, c’est bien la Corse !
Le lac Ninu dans la grisaille…

L’homme aux ampoules – Notre nouveau compère Christophe est vraiment un compagnon agréable sur le GR : il est très sympa, sociable, et toujours d’humeur égale. Seule sa conception quelque peu  » primaire  » de la randonnée a de quoi laisser perplexe. Notre bonhomme semble être en effet l’un de ces sportifs  » extrêmes  » qui voient dans le sport un moyen de repousser les limites physiques de l’individu… Ce faisant, il galope sur le GR à longueur de journée, privilégiant en permanence l’itinéraire le plus court au détriment d’autres souvent nettement moins difficiles et moins éprouvants. C’est comme ça qu’Alex l’a retrouvé un beau jour coincé en difficile posture dans un passage rocheux ! Bien sûr il s’en tire toujours, et repart dès lors de plus belle pour rattraper le temps perdu. Mais à l’arrivée, lorsqu’il enlève ses chaussures, bonjour les dégâts ! Ses pieds sont infestées d’ampoules et de plaies en tous genres… Voilà ce qui arrive quand on marche comme un bourricot !…

 

Samedi 15 Juillet 2000

Manganu – Pietra Piana
 » Pourtant, que la montagne est belle… « 

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

Etape 7 : Départ 6h30, arrivée 14h30 ; durée de marche effective : 6h.
Sieste puis mise au chaud dans le refuge minuscule et bondé comme jamais de petra Piana.
Nuit en bivouac au refuge de petra Piana. Météo
Nuit froide et humide. Ciel dégagé au petit matin, grand soleil au sommet du col de Capitellu. Derrière les crêtes, nouveau plongeon dans la brume… Temps froid voire très froid au refuge. Eclaircissement du ciel en soirée.

Le fait du jour

Sous le soleil, le GR culmine à Capitellu Il y a des jours comme ça, on se lève du bon pied, heureux d’aller marcher et de repartir à la conquête de nouveaux sommets… on se croirait presque en vacances ! Il faut dire qu’il n’y pas le moindre nuage dans le ciel du petit matin qui se présente à nous, ce qui n’est pas la moindre des réjouissances du jour ! Dans ces conditions, l’ascension du col de Capitellu, point culminant du GR à 2225 mètres d’altitude passe comme une lettre à la poste. La motivation est au rendez-vous puisque nous grimpons dans l’ombre par la face ouest, avec en point de mire la brèche où le soleil semble nous attendre… Lorsque nous y parvenons enfin au bout de deux heures de marche, sa majesté solaire rayonne comme jamais et illumine de son éclat le panorama exceptionnel qui s’offre à nous du haut de notre montagne ! Les crêtes s’imposent sur un ciel d’un bleu inespéré, les lacs de Capitellu et de Melo resplendissent… Au plus haut point de notre aventure, nous ne sommes pas très loin non plus de notre plus grand moment de bonheur depuis le départ !

A Capitellu, point culminant du GR, notre plaisir culmine lui aussi…

L’étape

Quand rando rime avec plaisir – Incroyable tout de même l’aisance avec laquelle je déambule sur le GR en ce début de journée. Je crapahute avec un plaisir non dissimulé, je ne ressens soudain presque plus aucune fatigue des jours précédents. La présence du soleil n’y est sûrement pas étrangère, et puis comme me le fait remarquer fort justement Juju : « Au bout de cinq jours de marche, tu commences à avoir la caisse aussi ! » L’ascension matinale très régulière de la brèche de Capitellu n’a rien d’insurmontable. Notre route se poursuit un bon moment sur la ligne de crêtes, nous livrant de part et d’autre deux paysages totalement différents : à gauche, le soleil, le ciel tout bleu, la montagne dans toute sa splendeur et la beauté inoubliable des lacs : Capitellu, Melo (quelles couleurs !), puis bientôt celui de Rinosa ; à droite, les nuages et le brouillard… C’est bien évidemment de ce côté-là que nous plongeons vers le refuge de petra Piana que nous gagnons dans le froid et la brume humide, il ne fallait pas rêver !

Sous le soleil au sommet, les lacs de Capitellu et Melo resplendissent…
…mais il nous faut replonger dans la grisaille !

Humeur…

Mon Everest – J’ai donc une patate d’enfer en ce début de journée (beaucoup moins sur la dernière heure de marche…), à tel point qu’un très court instant, je m’imagine prolonger la randonnée de quelques jours pour accompagner Stéphane qui rêve d’aller au bout du GR et de rejoindre Conca. Mais je reviens très vite sur terre… Débarqué du continent avec un entraînement pour le moins limité, je suis tout de même un peu court physiquement, et si ce que je suis en train d’accomplir n’a rien de surhumain, cela reste une véritable épreuve quotidienne pour le randonneur novice que je suis… Le GR 20 me renvoie implacablement la dure réalité de ma méconnaissance de l’effort de montagne, et me confronte sans pitié à mes limites physiques et mentales à de multiples reprises. Cette aventure extraordinaire me permet pourtant de prendre conscience de l’amour que je porte à la montagne, même si cela n’a pas l’air réciproque ! Je ne désespère pas malgré tout de l’apprivoiser un jour, et d’être capable de revenir faire le tracé en entier… En attendant, je n’irai pas à Conca : à ce jour, le massif corse est mon Himalaya, Capitellu mon Everest !

Brèves rencontres

Macro-parigot – Il trimbale un sac de 25 kilos et ce nombre-là à lui seul force le respect. Patrice nous accompagne depuis Asco et le moins que l’on puisse dire c’est que sa compagnie n’a rien de triste. Ce maître-nageur parisien d’environ trente-cinq ans est une attraction à lui tout seul : il manie un bagoût extraordinaire pour raconter des souvenirs de tous les endroits qu’il a parcourus dans sa vie (Bolivie, Patagonie, Réunion… la Bourboule !), il sort son portable lors de chaque pause pour voir si le signal est suffisant pour appeler  » sa p’tite copine  » ou son pote de Nice qui l’attend sur un voilier, et il se passionne pour les gros plans photos de chaque fleur de montagne qu’il croise (les fameuses macros) ! Il faut dire que le bonhomme est équipé, il trimbale avec lui au moins 5 kilos de matos photo ( !), dont un zoom de 300 qui fait baver d’envie Stéphane. S’improvisant comme il le dit lui-même  » étudiant en macrologie « , il peut ainsi passer parfois de longues minutes au pied d’une fleur… sans doute en train d’attendre qu’elle lui adresse un sourire !

En vrac

 » C’est sympa d’être venu… «  – Il y a foule comme jamais sur les crêtes au départ de la brèche de Capitellu. Une course de montagne, le Rallye Inter-lacs, se déroule en effet ce jour simultanément sur un bout de notre randonnée. Les concurrents ont bien du mérite car le parcours est des plus sélectifs, avec notamment une partie de l’ascension de la face de Capitellu que nous venons de vaincre ! Le tout accompli au pas de course, évidemment, avec de banales chaussures pour courir… Il faut s’écarter pour laisser passer ces vrais athlètes, courir là-dedans, il faut le faire ! Enorme coïncidence, Alex nous signale qu’une de ses collègues participe à l’épreuve… Lorsqu’elle passe devant nous, Alex lui envoie ses encouragements et l’autre de lâcher spontanément :  » Ah ? C’est sympa d’ être venue !…  » Non, non, on n’est pas là pour t’encourager, c’est un pur coup de bol si on s’est trouvé là… on a un GR à faire nous, faudrait pas croire qu’on a fait tout ça juste pour venir te voir courir !

Hélico, prise de tête – Abîmant déjà la quiétude de la montagne, un premier hélicoptère de l’organisation du rallye vient déjà nous rabattre les oreilles en nous tournant autour pendant un bon moment sur les crêtes qui dominent les lacs. Parvenu au refuge ou je me pique un vrai roupillon emmitouflé dans mon duvet pour échapper au froid, en voilà un autre qui vient interrompre mes rêves en se posant à moins de trente mètres de la tente… Ça commence à bien faire, le prochain qui vient me tourner autour ça va mal se passer !

L’orgie d’Alex – Le froid pince véritablement à Petra Piana… Chaque moment en dehors du duvet ou du refuge est un petit calvaire, et je ne vous pas parle de la vaisselle dehors à l’eau froide qui m’a littéralement frigorifié les doigts ! Seul le minuscule refuge offre un vrai havre de réconfort, même si on s’y sent quelque peu à l’étroit, serrés les uns contre les autres. Devant un tel potentiel de chaleur humaine, Alex pique un délire et se met à fantasmer sur une gigantesque orgie dans tous les coins du refuge !  » Ben quoi ? Comme ça plus personne n’aurait froid et puis et même temps on pourrait s’offrir un peu de bon temps, au lieu de se tourner les pouces là à ne rien faire…  » Réponse du tac au tac de Juju :  » Elle est complètement allumée c’te nana… Toi il faut que t’arrêtes tout de suite ton abonnement à Science et Vie Junior ! « 

 

Dimanche 16 Juillet 2000

Petra Piana – Vizzavona via Onda
Vizzavona, hôtel terminus

Cyril Boiron

Vingt-quatre heures

Etapes 8 & 9 : Départ 6h30, passage au refuge d’Onda, arrivée 18h15 après une nouvelle après-midi de marche sous la pluie ; durée de marche effective : 9h !
Douche chaude pour les filles, à la barbare pour les garçons, puis resto sur place à Vizzavona-gare. Nuit  » SDF  » dans le hall de la gare en compagnie d’une dizaine d’autres randonneurs ! Météo
Grand beau temps le matin avec en prime un lever de soleil extraordinaire sur les crêtes, dans un ciel tout bleu. Dégradation à la mi-journée avec passages nuageux et en descendant sur la vallée… brume, pluie, et même grêle ! Temps couvert en soirée ; températures à Vizzavona moins fraîches que la veille.

 

Le fait du jour

Fin de parcours – Vizzavona, Vizzavona, terminus, tout le monde descend ! L’objectif est atteint, nous avons réussi à rallier notre destination à pied à travers la montagne corse… C’en est fini des souffrances quotidiennes sur les kailloux, des raidi-longs qui tuent et des descentes qui fracassent ! Finies aussi les journées laborieuses dans le brouillard, la froid et la pluie, les (très bons) plats de pâtes tous les soirs, … maintenant à nous le repos, la plage, le soleil, la chaleur, les restos !

L’étape

Entre bonheur et déprime – Le départ est matinal puisqu’un énorme programme nous attend : rallier Vizzavona dans la journée, autrement dit avaler d’une traite les deux dernières étapes de notre parcours ! Après étude de la carte IGN et des difficultés de la journée, Stéphane et Juju jugent opportun de raccourcir la première étape en prenant la variante par les crêtes (au lieu de descendre pour remonter). Après quelques difficultés pour accrocher le wagon du départ, je commence à goûter mon plaisir au bout de quelques minutes de marche. Le ciel est tout bleu, et le soleil ne va pas tarder à se lever sur la montagne endormie…

Je m’arrête un instant pour contempler ce spectacle inouï, toutes les nuances de gris se déclinent dans les arrière-plans des massifs qui remontent jusqu’à l’endroit où sa majesté solaire est en train de se montrer sur la mer, c’est tellement beau ! Et apaisant, aussi… Ce passage par les crêtes n’en finit d’ailleurs pas de nous émerveiller, puisque nous contemplons deux vallées de part et d’autre du chemin et que bientôt, comble du bonheur, la mer nous apparaît de chaque côté !

Le passage des crêtes au petit matin… que du bonheur !

Stéphane s’offre un soulagement dans ce décor exceptionnel, « le plus beau chiotte du monde ! »(dixit Juju).

Nous redescendons sur le refuge d’Onda sous un soleil toujours éclatant, mais nous ne sommes alors qu’à mi-parcours… Après une vraie collation (au cours de laquelle Alex et moi abuserons des abricots secs… nous aurons l’occasion de le regretter quelques heures plus tard !), nous repartons en direction de Vizzavona. C’est alors que la brume nous rattrape, et il faut à nouveau remettre les ponchos car la pluie et la grêle viennent nous accompagner comme pour nous dire un dernier au revoir ! Dans ces conditions, les dernières heures de marche de cette longue journée sont éprouvantes. Alex déprime, Stéphanie souffre de son genou en silence, et Stéphane tente de motiver les troupes en annonçant toutes les heures qu’il ne reste plus qu’une heure de marche… avant la prochaine, oui !

Une longue dernière journée passée entre soleil, grisaille… pluie et grêle…!

Avant Vizzavona, nous passons à côté du site extraordinaire de la cascade des Anglais. Quelle beauté, quelle limpidité, quel endroit paradisiaque ! Et des regrets éternels en ce qui me concerne, puisqu’il pleut et qu’il fait froid, alors que cette eau d’une clarté fabuleuse m’appelle… Et bientôt enfin, Vizzavona… la fin de quelque chose, c’est certain !

Juste avant Vizzavona, passage à côté de la somptueuse cascade des Anglais

Humeur…

A l’heure du bilan – Difficile de réaliser, au moment précis où je me décharge de mon sac à dos, que l’aventure s’arrête là, comme ça, d’un coup… Que je viens de quitter la montagne corse pour de bon, que je n’éprouverai plus cette sensation d’évasion et de liberté qui m’a accompagné tout au long du GR ! Les sentiments sont mitigés pour tout le monde : à la satisfaction d’être allé au bout de cette belle aventure humaine se mêlent des regrets liés aux conditions météo et un sentiment d’inachevé avec l’escamotage de cette fameuse étape du cirque de la solitude, que seul Stéphane aura accomplie… Pour tout ça, le GR 20 emporte avec lui une part de mystère et d’inaccessible qui reste encore à conquérir.  » Ça mérite d’y revenir dans de meilleures conditions !  » lance Julien en guise de conclusion.

En ce qui me concerne, je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle cette aventure avec mon séjour marocain, le contraste est tellement fort ! Il y a un an, je voyageais en car climatisé à travers les villes impériales, en contact permanent avec la population locale, logé et nourri dans des hôtels quatre étoiles avec des porteurs pour s’occuper de mes bagages… Et voilà que je m’élance onze mois plus tard avec un sac de vingt kilos sur le dos, à la conquête des sommets corses, sans vrai contact avec le monde extérieur, à dormir dans le froid sous une tente merdique et à manger des pâtes à tous les repas ! A l’heure du bilan, je suis heureux… Heureux de savoir profiter d’un même plaisir de ces bonheurs si différents, heureux de savoir apprécier sans bémol ces expériences qui m’ont enrichi l’une et l’autre de tant de choses, heureux de savoir les accepter comme des cadeaux de la vie !

Brèves rencontres

Baty, comme un chef – En raison de notre arrivée tardive, il n’ y a évidemment plus une seule place dans le refuge du village… et monter la tente ne nous dit rien qui vaille. Faisant la rencontre de Baty, sympathique chef de gare de l’endroit, celui-ci nous propose bientôt de nous héberger gratuitement… en nous offrant de nous installer dans  » son  » hall de gare ! Nous acceptons sans hésiter, et Baty n’en finit pas d’étaler sa bonhomme gentillesse en ouvrant à Stéphanie et Alex les portes de sa salle de bains (ce qui leur vaudra des regards plein de jalousie de la part des autres randonneuses installées avec nous !). Mais le personnage nous réserve encore une autre surprise, en troquant sa casquette de chef de gare contre la toque de chef-cuistot dans l’excellent resto où nous dînons ce soir-là !

En vrac

Hélico, prise de tête, le retour ! – Sans doute levé du pied gauche à une heure que j’estimais bien trop matinale, j’ai énormément de mal à suivre le rythme de mes acolytes qui ont il faut dire un peu le feu aux fesses ce matin-là : en retard au petit dej’, pour plier la tente, lorsqu’il faut partir… De retour du refuge avec la popote, je prends tout de même une minute pour me laver les dents lorsqu’un nouvel hélico pointe son nez, apparemment bien décidé à se poser à dix mètres de là ! On me fait des grands gestes pour que je m’écarte, ce que j’accomplis dans l’esprit de ce matin : sans trop me presser et en bougonnant. Le souffle de l’appareil manque alors de me faire perdre l’équilibre, le couvercle de la popote et les sachets de céréales s’envolent… cette fois c’est sûr, je suis de mauvaise humeur et je ne supporte plus les hélicoptères !

Le genou de  » Paulette  » – Cette dernière étape est difficile pour tout le monde, et tout spécialement pour Stéphanie dont le genou est en train de crier douleur ! A Onda, à mi-parcours, nous envisageons un instant de mettre pied à terre et de repousser pour elle notre arrivée à Vizzavona d’un jour… Mais un Voltarène plus tard, « Mamie Paulette » reprend courageusement la route en suivant les pas de Stéphane, et parviendra finalement à l’arrivée au bout d’une souffrance toute contenue lors de la dernière descente.

Les pétomanes – Ah, la vie au grand air ! Tour à tour, sans retenue et en toute liberté, chacun y va de sa touche personnelle : certains sont très sonores, d’autres très odorants, plus rarement les deux… Sans doute un avant-goût de l’ambiance militaire qui attend Stéphane, incorporable au premier août ! En espérant qu’il s’en accommodera mieux que notre ami Desproges, qui commentait ainsi la période de son service national :  » je ne me suis bizarrement pas découvert d’affinités avec tous ces jeunes gens dont la distraction favorite était d’organiser des concours de pets dans les dortoirs… « 

Douche à la barbare ! – Pendant que les filles profitent généreusement de l’offre de Baty qui met sa propre salle de bains à leur disposition, les mâles de l’expédition rejoignent la rivière proche de la gare… Lorsque j’arrive sur les lieux (avec un train de retard, comme d’habitude), je trouve Juju, Stéphane et Gérald à poil en train de s’asperger « à la barbare » avec l’eau glaciale de la rivière ! Je ne tarde pas à suivre le mouvement… Pas douchés depuis au moins trois jours, en trois minutes – surtout pas plus – nous voilà enfin propres, ou presque !

 

Lundi 17 Juillet 2000

Liaison autorail Vizzavona – Calvi via Ponte Leccia »
Est-ce la fin du début, ou le début de la fin …? « 

Vingt-quatre heures

8h30 : embarquement dans le train au départ de Vizzavona-gare (à cinq mètres de notre lieu de couchage !) pour Ponte Leccia ; 10h train Ponte Leccia – Calvi via l’île Rousse, arrivée à Calvi 12h10.
Collation puis recherche un peu laborieuse d’un camping… installation définitive au camping La Pinède ( à 500 mètres de la plage et un quart d’heure à pied du centre de Calvi). Expédition à Calenzana pour récupérer les affaires laissées au départ puis courses, lessives, vraies douches…
Apéro collectif en soirée (voisins, Cécile et Jacques) puis balade nocturne dans Calvi par le bord de mer… bain de minuit au retour ! Météo
Grand beau temps le matin et chaleur appréciable ! Quelques nuages et petite fraîcheur en soirée.

Le fait du jour

De nouvelles vacances commencent – En quittant Vizzavona pour Calvi en train, nous quittons la montagne pour la mer, la randonnée pour le farniente, l’activité physique pour le repos du guerrier et les chaussures de marche pour les tongues ! Les tentes sont plantées pour une semaine, les nomades que nous sommes depuis huit jours se sédentarisent enfin. Mais on se sent déjà un brin déphasé en ce premier après-midi, comme pas dans l’ambiance. Les marques rouges et blanches du GR 20 qui guidaient notre démarche ne sont plus là, et assurément nous sommes tous quelque peu déstabilisés par cette absence soudaine de repères et de tracé, par ce vide d’activité et par tout ce temps dont nous pouvons désormais disposer comme bon nous semble…

L’étape

Le petit train de la vie – « Vous savez ce que veut dire mémorable ? Bon eh ben alors : mémorable… » Oui, mémorable ce trajet ferroviaire entre Vizzavona et Calvi ! La première partie jusqu’à Ponte Leccia se déroule sans encombres, il fait un temps splendide et les paysages de montagne qui défilent autour de nous sont de toute beauté. Nous changeons alors de train, et le voyage jusqu’à Calvi ne sera pas aussi paisible ! Déjà, les wagons sont bondés et chacun se débrouille pour trouver une petite place. M’estimant chanceux, je parviens à m’asseoir sur le marchepied en face de la porte, juste derrière le conducteur. Mais lorsqu’une jeune fille essaie de la fermer au moment du départ, le vieux corse aux commandes l’arrête et lui dit : « Non mademoiselle, la porte reste ouverte… Vous croyez qu’on a la climatisation là-dedans ? » Je me retrouve donc assis face au vide, à un mètre de la voie ! Je me cramponne solidement, sans quoi je risque de me retrouver dehors au premier virage un peu sec… bonjour la sécurité des passagers ! Les voies corses sont terribles, le train ne cesse de tanguer de droite à gauche et je regrette soudain de ne pas avoir avalé mes cachets contre le mal des transports. Oui, à ce moment-là, dans ce train… j’ai le mal de mer !

Je me lève pour respirer un bon coup. Le spectacle continue : à l’entrée d’un tunnel, le conducteur maugrée quelques mots en patois et lance de grands coups de sirène. Quelques mètres plus loin, dans l’obscurité du petit tunnel, en plein milieu de la voie, se distinguent soudain nettement la silhouette de quatre ou cinq vaches en recherche d’ombre et de fraîcheur ! Le conducteur freine lentement, continuant à avancer sur les vaches qui détalent, tout en leur parlant : « Allez on avance sinon moi je vais manger de la paupiette ou de la côtelette à midi… ça ne me pose pas de problèmes de vous écraser, ça fait trente-cinq ans que je vous vois j’en ai marre ! » Le passage du vieux contrôleur qui vérifie trois fois chaque billet est également assez épique… En descendant à Calvi, je suis heureux de retrouver la terre  » ferme  » et je souris en repensant déjà aux souvenirs que je garderais de ce voyage. Mémorable, oui !

[et pourtant, ça aurait pu être pire… lisez plutôt ce qui est arrivé à ce même train six jours plus tard !! »» lire l’article ]

Humeur…

Karaoké blues – Ce premier soir, Calvi n’est pas d’une folle animation, tout juste quelques touristes qui se mêlent aux légionnaires locaux. Mais en repassant sur l’avenue face au port, de la musique venue d’un bar attire mon oreille… De la musique après huit jours de néant sur le GR, ô joie, ô bonheur ! Je sors soudain de la mélancolie dans laquelle je baigne ce soir-là et je reprends à pleine voix l’interprétation de « Comme d’habitude » qui s’échappe de ce bar… karaoké ! Cette renaissance ne manque pas de surprendre mes compagnons, à l’exception de Juju : « Lui ? La musique et le karaoké, il adore ça… ah on peut le laisser planté là et repasser dans deux heures, il aura pas bougé !… » Ils reprennent alors leur route en direction du camping, et je m’apprête à leur emboîter le pas lorsque soudain démarre l’intro de la chanson suivante : c’est du Gall-Berger, je ne peux pas m’en aller ! Je me retrouve bientôt là, tout seul sur mon bout de trottoir, au milieu des passants, à chanter tout haut et sans retenue, sans me soucier des regards, comme pour mieux libérer tout le bonheur que j’éprouve à ce moment précis !

«Il jouait du piano debout
C’est peut-être un détail pour vous
Mais pour moi ça veut dire beaucoup
Ça veut qu’il était libre, heureux d’être là avec nous
Il jouait du piano debout
Quand les trouillards sont à genoux
Et les soldats au garde à vous
Simplement sur ses deux pieds
Il voulait être lui, vous comprenez…»
(France Gall / Michel Berger)

Jamais je n’aurais mieux saisi le sens de ces paroles que ce jour-là… Je rentre par la plage sans cesser de chanter à voix haute. Je me sens seul mais je suis bien, je me retrouve face à moi-même, à mon amour de la vie… et je pense très fort alors à celle que j’aime !

Brèves rencontres

Famille-modèle, le retour – Savoyarde il y a un an sur mon séjour marocain, la famille à l’honneur cette année en terre corse est d’origine alsacienne : avec leurs trois garçons âgés de 9, 11 et 13 ans, ce couple vient en effet de réaliser le même parcours que nous, cirque de la solitude en prime ! Une sacré famille de baroudeurs qui partait déjà au sac à dos sur les GR alors que le plus jeune de leurs enfants avait encore besoin de couches… Et puis en discutant avec les parents, c’est une impression de sérénité totale qui se dégage de leurs attitudes, de leurs voix, de leurs regards… Du bonheur à la pelle dans les yeux de ces gens-là !

En vrac

Alex au culot – Enfin stabilisés dans notre camping à Calvi, le souci majeur de notre journée devient de monter une expédition pour récupérer les affaires laissées chez Cécile à Calenzana. Pragmatique, Alex refuse les plans galère en stop et se propose tout simplement d’aller solliciter  » cash  » la gentillesse de nos voisins. Un sourire plus tard, notre aimable voisin clermontois démarre la voiture, embarquant Alex et Stéphane avec lui… L’affaire est réglée en une demi-heure et nous finissons de sympathiser avec nos voisins en les invitant à se joindre à notre apéro le soir. Culottée l’Alex, mais diablement efficace aussi !

Soir de pleine(s) lune(s) – De retour de notre balade nocturne dans Calvi par la plage, alors que nous parvenons juste en face du camping, je sens un appel irrésistible de la mer… Je suis du Poissons, moi, signe d’eau, et frustré de baignade pendant une semaine de montagne ! Je tombe tout et je cours, et je plonge, et je vis ! Bientôt rejoint dans ce petit coup de folie spontanée par Stéphane et l’inévitable Juju, nos postérieurs  » baleines blanches  » éclatent sous la pleine lune, sous le regard amusé de Gérald (tafiolle !), de Stéphanie et d’Alex…

Epilogue à Calvi

Le retour à la vie simple et tranquille de vulgaire vacancier estival est difficile. D’un seul coup, plus d’objectif à rallier, plus d’étape à parcourir, plus de compagnons de randonnée : on se sentirait presque seuls tous les six, avec cette sensation angoissante de l’absence d’aventure à venir au cours de cette semaine… A n’en pas douter, le moment fort de notre périple corse se trouve derrière nous ! Pour ma part, cette inactivité soudaine a pour conséquence de réveiller mes états d’âme : je me sens  » bluesy « , un brin nostalgique et mélancolique, en situation de manque… Et du coup, un peu en retrait, souvent ailleurs, et pas toujours en phase avec mes acolytes.

La semaine passe malgré tout très vite, dans une ambiance qui est loin d’être triste ! Pour échapper aux fantômes du GR20, nous ne tardons pas à repartir en simples touristes à la découverte des environs de Calvi : visite de la citadelle (qui s’embrasera le dernier soir au cours d’un son et lumière très réussi) et la maison supposée natale de Christophe Colomb, la plage de la Restitude, l’Île Rousse par les légendaires tramways de la Balagne, la réserve naturelle de Scandola et le golfe de Girolata en bateau… Chaque soir après le repas, le rendez-vous place de la porteuse d’eau devient très vite incontournable : un peu en retrait du centre animé de Calvi, une charmante jeune fille y prépare des glaces faites maison, véritablement exquises (tout particulièrement le parfum  » yaourt fruit des bois « ). Et puis chacun trouve un temps pour satisfaire des envies plus personnelles : Gérald pique sieste sur sieste sur la plage, Alex et Stéphanie peaufinent leur bronzage, Stéphane s’offre une plongée dans les criques alentour, Juju ne lâche plus le ballon qu’il vient d’acheter (avec lequel nous inventons un nouveau sport olympique de plage, le  » waterdrop « ) et nous fait un caprice pour construire un énorme château de sable sur la plage le dernier jour, quant à moi je ne  » résiste » pas à l’appel nocturne du Karaoké… « Le géant de papier » et l’inévitable « Rockollection », encore !

A l’heure du retour, nos deux semaines corses auront été pour le moins contrastées : montagne, effort et temps plus que maussade la première semaine ; mer, glande totale et plein de soleil lors de la seconde. J’ai l’impression d’avoir fait tant de choses en quinze jours ici, et pourtant d’en avoir vu si peu ! Je suis sous le charme de l’île de beauté, et il me reste tant de trésors et de merveilles à découvrir dans ce paradis terrestre que je ne peux pas croire que je n’y reviendrai pas très vite…

 

Un grand merci à Cyril pour sa participation.

Je vous invite à découvrir d’autres aventures sur www.cy-real.com

Contact: Cyril Boiron

 

Randonnée à pied: Le fameux GR20

gr20Le GR20 est l’un des plus célèbre sentiers de grande randonnée de France, l’un des plus spectaculaires et des plus sportifs. Il traverse la Corse du Nord au Sud, de Calvi à Port-Vecchio, sur 200 kilomètres ! Pour celles et ceux qui veulent l’accomplir en totalité, comptez de 80 à 90 heures de marche réparties sur 15 jours.

11 refuges et 7 chalets-hôtels balisent le parcours, vous pourrez trouver le topo-guide dans notre rubrique Guides et cartes. Il est également possible de ne réaliser qu’une ou plusieurs étapes du GR en fonction de sa propre disponibilité et de sa condition physique.

Les parties hautes du sentier, qui serpente souvent à plus de 2000 mètres, requièrent une certaine habitude de la marche en montagne. Les plus expérimentés pourront ainsi entreprendre, l’été, l’ascention du Monte Cinto, mais avec beaucoup de prudence: quand la brume survient les repères s’effacent. Il est à rappeler que le GR20 est souvent qualifié de « chemin le plus difficile d’Europe »